Réagissant à la suite des premières sanctions occidentales contre la Russie après son annexion de la Crimée au cours des mois de février et mars 2014, Obama disait que ces sanctions ont laissé l’économie russe “en lambeaux”. Mais nous voilà en 2022 où depuis le début de la guerre Russo-ukrainienne commencée le 24 février, la Russie, bien qu’étant devenue le pays le plus sanctionné au monde dans toute l’histoire de toute l’humanité, tient très bon. La résilience exceptionnelle de l’économie russe en temps de crise mondiale révèle fondamentalement que l’orthodoxie observée par Vladimir Poutine dans la gestion de l’économie de son pays a renforcé sa souveraineté.
Les premières sanctions économiques contre la Russie ont été imposées de manière coordonnée par l’Union européenne, les États-Unis, le Canada et d’autres Alliés et partenaires, en juillet 2014 et ont été encore renforcées en septembre 2014. Elles se résument en trois types de sanctions économiques : limitation de l’accès de la Russie aux marchés financiers occidentaux, embargo sur les exportations vers la Russie d’équipements d’exploration et de production pétrolières de haute technologie et un embargo sur les exportations vers la Russie de biens militaires et à double usage civiles et militaires.
Selon l’institut de statistiques Statista, entre le 22 février quand la Russie a reconnu les républiques séparatistes de Lougansk et de Donetsk et le 8 mars, le nombre de sanctions contre le pays a doublé et a atteint 5.581. Parmi cette myriade de sanctions, celles qui sont des restrictions économiques concernent essentiellement la vente de gaz et de pétrole, la déconnexion des banques russes du système de transaction financière et monétaire international Swift, la saisie des avoirs de la banque centrale russe en Euro et en Dollar.
Tout comme en 2014, ces sanctions sont destinées à provoquer l’effondrement économique, social et politique de la Russie, causer la chute de Poutine et imposer des conditions draconiennes politiques à la Russie, lesquelles feront d’elle un pays soumis aux diktats occidentaux avant la levée de ces restrictions.
Cependant, plus de 4 mois après le début du conflit, l’économie russe se porte mieux que la plupart des économies occidentales qui souffrent d’inflation galopante, de pénurie des produits alimentaires et énergétiques, de dépréciation monétaire et de risque de récession. L’Euro et le Dollar ont atteint leur plus bas taux de change depuis des décennies et les prédictions sont encore pires pendant qu’un Rouble se vend aujourd’hui à 0,018 dollar. Il y a un an, il valait 0,014 dollar, soit un taux d’appréciation de plus de 28%.
Mais que Poutine soit encore au pouvoir en Russie et que l’économie s’en sorte mieux que celles occidentales ne sont pas le fruit du hasard. Par ailleurs, le gaz et le pétrole seuls n’expliquent pas cette résilience car même avant la Seconde Guerre mondiale, l’Union Soviétique était déjà un exportateur de ces produits énergétiques et pourtant, l’époque était réputée pour les pénuries alimentaires. Même sous Boris Yeltsin, l’inflation et la pénurie avaient atteint leur point culminant dans l’histoire de la Russie.
La vérité est que la légitimité d’un gouvernement se justifie nécessairement par sa capacité à préserver les intérêts économiques et sociaux des citoyens ordinaires de son pays. Contrairement à ce qui est véhiculé dans les médias grand public occidentaux sur la personne de Vladimir Poutine, lequel abreuverait son peuple de propagande, il n’est pas possible même en Russie de se foutre des intérêts des nationaux et de continuer à demeurer au pouvoir. Vladimir Poutine a bâti sa réputation sur sa propre compétence de grand gestionnaire pragmatique des affaires de l’État. Pour arriver à ses fins, il se fait entourer de personnes compétentes dans leurs domaines. L’un de ces technocrates est Elvira Nabiullina, gouverneur de la Banque centrale de la Fédération de Russie. Elle se trouve être dans cette position depuis le 24 juin 2013 et est l’un des architectes de la résistance effective et efficace de la Russie aux sanctions occidentales. Grâce aux décisions avisées de la Banque centrale et du gouvernement russe, l’effondrement du Rouble et l’envolée des prix à la suite de la première vague de sanctions se sont estompés.
Toutefois, cette résilience de l’économie russe n’est pas seulement due à l’arrimage du Rouble à l’or et aux paiements imposés aux pays inamicaux du gaz et du pétrole russes en Rouble. Depuis 2014, avec l’annexion de la Crimée et les premières sanctions occidentales qui ont suivi, le gouvernement russe avait commencé à investir énormément pour raviver l’agriculture russe abandonnée à la fin de la Guerre Froide. De consommatrices des produits alimentaires, la Russie en est devenue l’une des premières productrices. L’interdiction de l’importation des produits alimentaires de l’Union européenne comme contre-sanction a été une mesure incitative pour les producteurs. En 2022, la Russie compte par exemple parmi les premiers producteurs du blé. Pour Poutine, tout ceci confirme sa réputation de bon gestionnaire qu’il avait déjà acquise en mettant fin aux pénuries et à la crise économique qui ont caractérisé le règne de son prédécesseur, Boris Yeltsin.
Quant aux Occidentaux, ils ont procédé, au cours des années qui ont suivi l’effondrement de l’Union soviétique, à la délocalisation de leurs industries vers l’Asie au nom de la recherche du profit et de la globalisation tandis que leur agriculture est mise en difficulté par les exigences stratégiques contre le réchauffement climatique. Les économies occidentales sont largement dominées par le secteur tertiaire dont celui des technologies numériques qui n’ont rien à voir avec les biens économiques réels comme le blé, le gaz ou le pétrole pouvant permettre de stabiliser les prix sur le marché.
Par ailleurs, à l’exception de l’année 2020 où les dépenses sociales ont explosé à cause des conséquences induites par la pandémie du COVID-19, un des éléments clés de la politique économique du gouvernement russe, de 2018 à 2021, a été l’excédent budgétaire qui a permis de constituer des réserves en devises étrangères et en or. Les réserves de la banque centrale russe s’élevaient à environ 643 milliards de dollars au 18 février. Malgré les sanctions occidentales, 35,5 % de ces réserves restent accessibles dans le pays ou en Chine. Alors que 21,7 % des réserves sont en Russie sous forme d’or, 13,8 % sont détenus en Chine. Au même moment, la plupart des gouvernements occidentaux mènent une politique de déficit budgétaire pour la plupart depuis deux décennies. “En 2021, tous les États membres, à l’exception du Danemark (+2,3 %) et du Luxembourg (+0,9 %), ont enregistré un déficit. Le plus haut des déficits ont été enregistrés à Malte (-8,0%), en Grèce (-7,4%), en Lettonie (-7,3%), en Italie (-7,2%), en Roumanie (-7,1%), en Espagne (-6,9%), Hongrie (-6,8%), France (-6,5%) et Slovaquie (-6,2%). Quinze États membres avaient des déficits supérieurs à 3% du PIB.” (Union européenne)
Jugeant par tout ceci et par l’augmentation de plus de 30% de ses exportations d’hydrocarbures, depuis février 2022, vers le marché asiatique, moteur de la croissance mondiale, il facile de comprendre que la résilience de l’économie russe. Si le gouvernement russe continue à observer une telle rigueur économique et arrive à mener à bien son intervention militaire en cours en Ukraine, alors la Russie va se positionner, après cette guerre, dans une posture géo-stratégique meilleure qu’avant février 2022.