5 décembre, 2024
La guerre entre la Russie et l’Occident à un tournant capital

La perspective d’une résolution pacifique du conflit entre la Russie et l’Occident semble pour l’instant être du domaine des rêves. L’administration Joe Biden a été claire que l’objectif stratégique des États-Unis d’Amérique est d’affaiblir la Russie au point de la rendre incapable de mener une quelconque politique de grande puissance dans le futur. Les sanctions économiques occidentales contre la Russie servent à cet effet. La Russie, quant à elle, considère l’expansion de l’OTAN en Ukraine comme une menace existentielle. Cette guerre pour la Russie est une tâche urgente qu’il fallait exécuter avant le départ probable du pouvoir du Président Vladimir Poutine à la fin de son mandat actuel.

En février dernier, le Président Vladimir Poutine a dû lancer l’opération militaire spéciale et pensait ainsi obtenir des concessions à la table de négociation après quelques escarmouches. En cela, il est difficile d’apprécier la jugeote du Président Vladimir Poutine. Une telle attente était-elle de la naïveté ou une attitude politique fondée sur une vision humaniste des rapports entre les membres de la communauté internationale? Il est clair que pour la plupart des analystes occidentaux, Poutine est un homme qui a perdu le sens des réalités et qui serait peut-être dans la phase terminale d’une maladie démentielle. En tout cas, pour l’instant, rien ne permet de faire de telles affirmations.

Il convient de restituer un fait historique qui tend à être occulté par le chaos émotionnel que provoque la guerre. La Russie de Vladimir Poutine voulait appartenir un jour à l’Europe. Vladimir Poutine, jusqu’à récemment, désignait les dirigeants occidentaux comme ses « partenaires ». C’est cette constante disponibilité à s’asseoir et à discuter avec les Occidentaux qui explique la signature des accords de Minsk I et II que l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel et l’ancien président français François Hollande ont reconnu récemment comme étant une ruse de guerre pour permettre à l’Ukraine de gagner du temps et se préparer à une guerre totale avec la Russie. Était-ce une telle confiance de la part de Vladimir Poutine de la naïveté là aussi? Ce qu’on peut dire de Vladimir Poutine est qu’il n’est ni un idéologique illuminé ni un émotif ni un sentimental. De plus, il n’est ni un illusionniste ni un apathique ni un alcoolique comme Boris Yeltsin. Il porte en lui le rêve de la restauration de la puissance russe. Il ne conçoit nullement l’avenir de la Russie comme celui d’un pays jouant un second rôle dans l’avenir de l’humanité. Si, pour lui, cette restauration passe par des voies diplomatiques, il les empruntera. Si elle exige une guerre, il la fera aussi. Il est donc évident que cette guerre ne connaîtra pas une résolution différente de celle qui résultera des rapports de force à l’issue des affrontements.

Dans un tel contexte, quel peut être l’avenir à court, moyen et long termes de ces affrontements entre la Russie et l’Occident? Même dans une hypothèse d’une confrontation directe entre l’OTAN et la Russie, il ne semble plus si irréfutable que la balance pencherait du côté de l’Occident à cause de l’avantage numérique démographique. Dans tous les cas, ce qui transparaît après plus de dix mois de guerre est que le résultat de ce conflit ne sera pas en faveur de l’Occident : soit les deux parties en viennent à une guerre nucléaire et dans ce cas, il n’y aura ni gagnant ni perdant, soit les États-Unis d’Amérique en particulier et l’Occident en général perdront cette guerre, si elle se limite à un affrontement conventionnel et même dans l’hypothèse, d’une confrontation directe entre les deux parties.

Au prime abord, aucun camp ne pourra remporter une guerre nucléaire parce que ceux qui en survivraient n’auront que quelques jours ou semaines pour vivre à cause de la radioactivité et de l’hiver nucléaire qui vont suivre les explosions des bombes à réaction. Le reste de la population mourra soit de la radioactivité soit de la faim.

Toutefois l’hypothèse d’une guerre nucléaire entre la Russie et l’Occident peut être écartée parce que les deux camps disposent suffisamment d’armes nucléaires pour détruire l’autre et cette dissuasion peut prévenir un échange nucléaire même en cas de guerre totale entre les deux.

Par contre, une possible confrontation totale entre l’OTAN et la Russie ne doit pas être écartée complètement étant donné l’intransigeance de part et d’autre. Les États-Unis d’Amérique et leurs alliés ne considèrent aucune éventualité de paix tant que les troupes russes seront sur le territoire de l’Ukraine tandis que la Russie exige la reconnaissance de son annexion des quatre territoires ukrainiens russophones qui ont voté pour faire partie de la Fédération de la Russie.

De plus, dans le contexte actuel, l’Ukraine continue de subir des pertes énormes à l’Est dans le Donbass précisément dans le territoire sécessionniste du Donetsk, à Bakhmout et à Soledar malgré la stabilisation de la ligne de front à Kherson au Sud et à Kharkiv dans le Nord. Les combats dans ses localités du la république sécessionniste du Donetsk sont menés par l’armée privée de Wagner. Il s’agit surtout de combats rapprochés qui évoluent de maison en maison car pendant plus de huit ans, les Ukrainiens et leurs alliés occidentaux ont profité des Accords de Minsk I et II qui exigeaient l’autonomie du Donbass pour ériger des fortifications et des tranchées similaires à la ligne Maginot. Les informations des derniers jours révèlent une avancée lente mais certaine des troupes russes qui seraient sur le point d’encercler les troupes ukrainiennes. Dans ce contexte où l’Ukraine continue de perdre chaque jour des centaines d’hommes et les puissances occidentales persistent à exclure toute négociation avec la Russie, l’éventualité d’une confrontation directe entre l’OTAN et la Russie ne peut pas être exclue car la défaite de l’une des deux parties dans le conflit est une menace existentielle pour elle. Les deux camps se sont énormément investis dans cette guerre pour laisser tomber aussi facilement.

Par ailleurs, sur tout le front, la Russie continue de renforcer en effectif et en matériel ses troupes déployées en Ukraine. Le rapport de force en ce qui concerne le nombre des troupes et la quantité de la logistique changent en faveur de la Russie depuis la contre-offensive ukrainienne de septembre 2022 et la mobilisation russe qui a suivi.

Contrairement à l’Allemagne hitlérienne, la Russie n’a jamais embrassé le concept d’une guerre éclaire. Tant que la Russie ne va pas s’effondrer économiquement ni disperser ses forces en voulant conquérir de vastes territoires, elle pourra rester invincible sur son territoire et à ses périphéries. La stratégie militaire russe se résume à cette logique infaillible. Cette guerre ne pourra donc se dénouer que dans la durée. De ce fait, on ne peut pas exclure qu’elle puisse perdurer au-delà de 2023.

Dans le cas d’une guerre totale conventionnelle où les armes nucléaires seraient exclues, il y aura plusieurs scénarios. Le scénario le plus plausible est que cette confrontation directe se limite aux territoires ukrainiens. Les services de renseignement russes et même l’ex-président Medvedev qui est maintenant le vice- président du conseil de sécurité de la Fédération de la Russie ont laissé entendre à plusieurs reprises l’éventualité d’une invasion de l’ouest de l’Ukraine par la Pologne. Dans ce cas, si la Russie cherche dans ses conquêtes à avancer encore plus à l’ouest, une confrontation directe avec la Pologne qui est un membre de l’OTAN sera inévitable. En anticipation de cette entrée de la Pologne ou même de la Roumanie dont une partie historique se retrouve aussi en Ukraine, les Russes construisent une ligne de défense.

Il y a aussi la possibilité d’un affrontement direct de la Russie avec la Pologne à travers les frontières communes qui les séparent. Dans une telle éventualité, pour éviter de disperser ses forces, la Russie mettra ses troupes terrestres dans une position défensive, tout en soumettant les territoires des pays occidentaux à d’intenses attaques de missiles et de drones à longue portée. Dans une telle confrontation, la géographie et la distance seront favorables à la Russie qui constitue 7% des terres continentales non submergées de la planète. La Russie pourra suffisamment disperser ses troupes et sa population sur son sol pour réduire les pertes face aux tirs de missiles occidentaux.

L’expérience accumulée aujourd’hui par la Russie en Ukraine est inégalable en termes de maniement des drones dans une combat conventionnel. De plus, les stocks des pays de l’OTAN s’amenuisent à cause des livraisons à l’Ukraine.

Enfin, si malgré les soutiens d’une trentaine de pays de l’OTAN en logistique militaire et civil, en renseignements, en argent et en mercenaires, la Russie peut tenir aussi bon, cela veut dire qu’elle peut effectivement contenir sinon battre l’OTAN.

Depuis sa nomination au poste de commandant général de l’opération militaire russe en Ukraine, le 8 octobre 2022, le général Sergey Surovikin s’est montré capable d’imposer plus de discipline et de coordination entre les différents groupes d’armées russes en Ukraine. Il a aussi lancé une campagne de destruction systématique de l’infrastructure énergétique ukrainienne qui peut affecter l’aptitude des ukrainiens à effectivement poursuivre cette guerre. Après le retrait ordonné de Kherson, il a également focalisé la pression sur les troupes ukrainiennes dans la république sécessionniste du Donetsk. Maintenant le 11 janvier 2023, le général d’armée Valery Gerasimov a remplacé le général Sergueï Surovikin, qui est devenu son adjoint. Cette dernière nomination est le signe de la préparation de quelque chose de plus grand que tout ce qui s’est passé jusqu’ici du côté russe. Valery Gerasimov était jusqu’à récemment le Chef d’État major des armées de terre de la Russie. L’éventualité d’une offensive plus grande impliquant les troupes russes en Biélorussie, l’aviation sous le contrôle de Sergueï Surovikin et les autres composantes de l’armée russe en Ukraine n’est pas à exclure.

Face à toutes ces préparations pour une large offensive, les Occidentaux aussi s’activent. Avec la Pologne qui a lancé une mobilisation, ils annoncent la livraison de nouvelles armes à l’Ukraine. Ces livraisons d’armes à l’Ukraine égalent aujourd’hui le budget annuel du ministère de la défense russe. Mais l’impact de ces livraisons d’armes occidentales dans le dénouement de ce conflit est certain même si elles participent à le prolonger. Tous les types d’armes que les Occidentaux livrent à l’Ukraine aujourd’hui étaient toutes disponibles pour son armée en quantité suffisante, immédiatement utilisables pour les Ukrainiens et adaptées aux plateaux sablonneux et boueux du pays. La Russie a détruit la grande partie de ces armes. Est-ce que les nouvelles livraisons d’armes empêcheront la Russie de les détruire comme les premières armes de l’Ukraine ?

Les États-Unis d’Amérique et leurs alliés occidentaux continuent aussi de renforcer leur présence en Europe de l’est notamment en Roumanie et en Pologne.

Quel que puisse être le résultat de cet affrontement, le monde ne sera plus le même qu’il était avant février 2022. L’année 2022 restera certainement dans les mémoires comme l’une des années les plus importantes de l’histoire de l’humanité après la Seconde Guerre mondiale (1939-1945). Cependant, il ne faut pas exclure l’éventualité que les conséquences des changements géopolitiques provoqués par les événements survenus en 2022 pourraient avoir des impacts plus importants que la Seconde Guerre mondiale. Il est vrai qu’après 1945, les États-Unis d’Amérique et l’Union soviétique sont devenus des puissances dominantes. Ce fut la fin de siècles de domination du monde par les puissances continentales européennes. Mais ce qui naîtra de cet affrontement peut être le basculement de la puissance géopolitique de l’Ouest vers l’Est comme la Russie le pont entre les deux mondes et donc le centre du nouvel ordre mondial.

Auteur de l'article :


Alfred Cossi CHODATON
alf2chod@gmail.com Diplômé en sciences et technologies de l'information documentaire, il est un écrivain et analyste indépendant.

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