Que sont les origines des guerres ?
Parmi les êtres vivants, l’humain est celui qui se tient au-dessus de tous les autres de par son intelligence lui permettant de mener des réflexions abstraites. Est-ce ce côté cognitif de l’être humain qui explique les guerres ou c’est plutôt son instinct de survie qu’il a en commun avec les animaux ? La guerre serait-elle de la bestialité inavouée ou un acte qui distingue les humains du règne animal ? Sont-ce les valeurs idéologiques, culturelles, religieuses ou politiques qui sont à l’origine des conflits ? Ou ce sont les intérêts matérialistes, financiers et économiques qui sont leurs causes essentielles ? Si les hommes se combattent pour le contrôle des ressources naturelles de la planète, la guerre a-t-elle besoin d’être expliquée par des raisons autres que l’instinct de survie ?
La guerre comme source de gloire
Généralement, dans les médias et les narratifs collectifs, ceux qui font la guerre ne la font pas pour des intérêts bassement matérialistes. Mais ils la font pour défendre une idée, un concept ou un symbole qui a quelque chose d’identitaire ou de culturel : la souveraineté, la liberté, la démocratie, les droits de l’homme, la foi chrétienne ou la foi musulmane, le communisme ou le libéralisme, le catholicisme ou le protestantisme, etc…Ainsi la guerre est rendue donc très attractive et la défense de cette cause à la fois sublime et noble justifie toutes les cruautés et les horreurs de la guerre. « Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre » (Charles Péguy). Mourir et tuer pour une cause plus grande que soi à quelque chose de sanctificateur ou purificateur qui élève le héros de la guerre au-dessus du commun des mortels. Il devient comme un dieu vénéré dans la psyché collective. Chez les djihadistes, au paradis le militant décédé pour la cause de l’Islam sera entouré de vierges et des délices qu’il n’a pas connes sur terre.
La guerre comme moteur du progrès et de l’histoire
Pour Georg Wilhelm Friedrich Hegel, l’histoire du monde elle-même se confond à celle de la guerre parce que le progrès vient de l’antagonisme des forces et quand il n’y a pas antagonisme, le progrès ne peut pas se réaliser. « L’histoire n’est pas le terrain du bonheur ; car les périodes de bonheur sont pour l’histoire des pages vides. » (La philosophie de l’histoire)
La dialectique du maître et de l’esclave décrit la lutte pour la reconnaissance entre les individus dans une société. Dans cette lutte, l’un s’affirme comme le maître, tandis que l’autre devient l’esclave. Le maître affirme sa domination sur l’esclave et exige sa reconnaissance, tandis que l’esclave est forcé d’obéir aux ordres du maître. Cependant, au fil du temps, l’esclave se rend compte que son existence dépend de la reconnaissance du maître, et prend ainsi conscience de ses propres désirs et besoins. En conséquence, l’esclave commence à résister à la domination du maître et cherche à se faire reconnaître.
Cette lutte entre le maître et l’esclave conduit finalement à une nouvelle forme de conscience, où les deux parties se reconnaissent comme égales. Grâce au processus de reconnaissance mutuelle, la relation auparavant inégale entre le maître et l’esclave se transforme en une relation de respect et de compréhension mutuels. La dialectique du maître et de l’esclave est considérée par Hegel comme un aspect fondamental du développement social humain et est un concept important pour comprendre l’évolution de la conscience humaine et de la société dont le but ultime est la liberté.
La parcours de deux consciences qui passent d’abord par un rapport de soumission ou de subjugation de l’une par l’autre, ensuite par la révolte de la conscience qui était soumise et la déchéance de la conscience qui dominait et enfin, à la réconciliation mutuelle des deux consciences est un processus de l’histoire conduisant l’humanité vers l’égalité et la liberté. « L’histoire du monde n’est autre que le progrès de la conscience de la liberté. La liberté est le but et la fin du monde ; c’est pour la liberté que le ciel et la terre existent. Et donc l’histoire du monde n’est pas seulement un processus naturel mais aussi un processus spirituel, et le développement du monde spirituel est le mouvement véritable et essentiel de l’histoire. » (Extrait des “Leçons sur la philosophie de l’histoire” de Hegel, 1837)
Les guerres entre les clans, les ethnies et nationalismes en Europe et dans le monde depuis l’Antiquité à nos jours illustrent la philosophie de Hegel. Elle fut un socle éthique et moral à la politique coloniale de la plupart des puissances européens car les guerres coloniales sont perçues comme une mission civilisatrice. « Ce n’est que par la guerre que les États acquièrent le pouvoir d’autodétermination, d’autogouvernement, d’auto-réalisation, d’auto-défense et d’auto-préservation. La guerre est un moyen nécessaire pour la réalisation de l’individu et de la liberté collective, et sans elle, il n’y aurait pas d’État, pas de société, pas de culture, pas de civilisation. » (Extrait de la “Philosophie du droit” de Hegel, 1821)
Le siècle américain et la fin de l’histoire
Les États-Unis d’Amérique qui se considèrent comme le fruit du progrès humain sont une parfaite illustration vivante de cette philosophie hégélienne. Dans la culture dominante contemporaine, dans la production hollywoodienne et dans les médias grand public, la guerre est véhiculée comme une entreprise légitime pour faire triompher les valeurs civilisationnelles universelles. Pour ça, une vision manichéenne de l’histoire distingue d’une part, les nations non civilisées et d’autre part, celles civilisées et désigne la guerre comme le moyen par lequel le progrès civilisationnel s’accomplit.
La Seconde Guerre mondiale serait le début du « siècle américain » où les États-Unis sont devenus la puissance mondiale dominante. Cette époque a été marquée par l’influence économique, militaire et culturelle américaine dans le monde entier, et elle a duré jusqu’ au début des années 1990 pour faire place à la « Fin de l’Histoire » selon le politologue Francis Fukuyama.
Fukuyama a soutenu qu’avec l’effondrement de l’Union soviétique et la propagation de la démocratie libérale, l’humanité avait atteint la fin de son évolution idéologique et que la démocratie libérale était devenue la forme finale de gouvernement pour toutes les nations.
La guerre comme échec de l’humanisme
Toutefois, au regard du nombre de guerres que la planète a connues ou continue de connaître depuis la disparition de l’Union soviétique, l’on est en droit se demander si l’humanité est vraiment à un stade final de son développement si tant est que la guerre pouvait être considérée comme un moteur de l’histoire. Si depuis 1990, l’humanité était vraiment rentrée une période pouvant être considérée comme la fin de l’histoire, les guerres auraient cessé. Par ailleurs, l’histoire de la Chine qui n’a embrassé ni la démocratie libérale ni le colonialisme mais en moins d’un demi-siècle a émergé pour rivaliser sur le plan économique avec les Etats-Unis d’Amérique montre que le destin des peuples n’est pas forcément le trajectoire qu’ont suivi les pays occidentaux. L’homme qui est la plus évoluée des créatures de la planète n’est pas vraiment besoin des guerres pour évoluer vers des formes plus améliorées de société et de gouvernement car les guerres constituent un gaspillage d’énormes ressources qui auraient pu servir à combattre la faim, la pauvreté et la misère aussi bien à l’échelle national qu’à l’échelle internationale. La guerre est un échec de l’humanisme et continue de pousser beaucoup à s’interroger sur la nature de l’homme. Si l’idéalisme dialectique de Hegel voit l’esprit humain comme étant à l’œuvre dans les guerres, le matérialisme dialectique constate que ce n’est pas l’esprit qui détermine le progrès mais ce sont plutôt les réalités qui conditionnent l’esprit. Marx. « Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience. »