La mobilisation partielle russe et les référendums dans quatre régions ukrainiennes occupées par la Russie (Lougansk, Donetsk, Zaporizhzhia et Kherson) sont les nouveaux développements les plus récents et les plus importants dans le conflit entre l’Ukraine soutenue par l’Occident et la Russie. Ces deux événements marquent un tournant dans la confrontation entre l’OTAN et la Russie et signalent que l’opinion publique et les dirigeants russes sont enfin parvenus à la conclusion que la fenêtre de la diplomatie et du compromis est définitivement fermée.
La guerre russo-ukrainienne est le résultat de la non-application des accords de Minsk I et II respectivement signés le 5 septembre 2014 et le 12 février 2015. Ces deux accords soutenus par la Russie d’une part, et par la France et l’Allemagne, d’autre part, n’ont jamais réussi à arrêter les combats entre l’armée ukrainienne et les séparatistes des régions russophones de Donetsk et Lougansk. Les régions sécessionnistes de l’est de l’Ukraine se sont déchainées après le renversement de Viktor Yanukovitch par Euromaïdan en février 2014. Alors que Washington et Bruxelles semblaient soutenir le changement de gouvernement à Kiev, considérant comme légitime l’aspiration du peuple ukrainien à se rapprocher de l’Occident, Moscou a jugé que c’est un coup d’État et a soutenu le soulèvement de la population russophone de l’est de l’Ukraine. La guerre prolongée avait fait environ 14 000 victimes civiles depuis février 2014 et avant le début de l’opération militaire russe le 24 février 2022.
Les Russes, ayant réalisé l’échec du processus diplomatique ainsi que l’intention claire des dirigeants ukrainiens de reconquérir les régions du Donbass, de demander l’adhésion à l’OTAN et de se réarmer de l’arsenal nucléaire, ont pris sur eux de régler le conflit en intervenant. Au lieu de l’anéantissement total de l’Ukraine en tant qu’État, les objectifs de cette intervention russe semblent se limiter à ce que les Russes eux-mêmes définissent comme la libération du Donbass, la neutralité de l’Ukraine et la destruction des groupes paramilitaires néonazis.
Initialement, le président Vladimir Poutine et ses militaires pensaient que ces objectifs pouvaient être atteints en faisant pression sur Kiev, la capitale de l’Ukraine, qui est le siège du gouvernement Zelensky. Cette stratégie visant à réduire les pertes de guerre et à obtenir des concessions par la négociation s’est avérée fructueuse lors des pourparlers d’Istanbul qui ont débuté le 29 mars 2022. En réponse aux progrès réalisés à la table des négociations et dans un geste de bonne volonté, la Russie a retiré ses troupes du nord-ouest de l’Ukraine.
Cependant, environ une semaine plus tard, l’Ukraine est revenue sur ses concessions à la Russie, apparemment avec le soutien des États-Unis d’Amérique et du Royaume-Uni. “Hier, la partie ukrainienne a soumis au groupe de négociation son projet d’accord, qui est un recul par rapport aux positions les plus importantes enregistrées lors de la réunion d’Istanbul du 29 mars”, a déclaré le ministre russe des Affaires étrangères.
La Russie a donc continué à avancer progressivement dans l’est de l’Ukraine, où une grande partie des combats du côté russe est menée par une coalition de milices des deux régions séparatistes, l’armée privée de Wagner et des troupes tchétchènes dirigées par Ramzan Kadyrov. Jusqu’à présent, les soldats réguliers russes ont été largement impliqués dans la collecte de renseignements, les combats d’artillerie, les frappes de missiles et les attaques aériennes. La stratégie russe dans cette guerre a été jusqu’ici inspirée par la campagne syrienne où la Russie, peu impliquée directement dans les combats, a pu à la fois récupérer de vastes territoires et des concessions à la table des négociations en apportant à l’armée syrienne un appui décisif en termes de renseignements, d’artillerie, de frappes de missiles et de raids aériens. De même, le président Vladimir Poutine espèrait que la crise économique déclenchée en grande partie par les sanctions occidentales contre la Russie couplées à la hausse des coûts de l’énergie convaincra l’Occident de faire des concessions à la table des négociations.
Cependant, les enjeux sont plus importants en Ukraine qu’en Syrie. L’OTAN reste inébranlable dans son engagement à voir l’Ukraine poursuivre le combat contre la Russie. Dans ce but et pour maintenir le soutien à la guerre en Ukraine en Occident, les Américains avaient conseillé aux Ukrainiens de lancer leur contre-offensive là où il était peu probable qu’ils rencontrent une résistance russe. Mais dans ce processus, ils perdent tellement d’hommes et de matériel, qu’il n’est pas évident qu’ils continueront longtemps ces contre-offensives.
La contre-offensive ukrainienne de Kharkov de septembre qui a été rendue possible grâce au soutien occidental, bien qu’elle n’ait pas eu beaucoup d’importance sur les réalités du terrain, a changé beaucoup de choses en Russie.
Le président Vladimir Poutine a fait l’objet de vives critiques dans son pays pour ne pas avoir engagé suffisamment de ressources dans la guerre en Ukraine pour la mener à son terme. Même si la région de Kharkov où l’Ukraine a lancé sa dernière offensive n’est pas une priorité pour les Russes qui avaient déjà commencé à y retirer leurs troupes environ un mois avant la contre-offensive ukrainienne, l’opinion publique russe a persuadé Vladimir Poutine de changer radicalement sa stratégie.
Dans la soirée du 27 septembre 2022, les résultats du référendum pour décider de l’adhésion des quatre régions occupées par la Russie dans l’est de l’Ukraine ont commencé à sortir. Comme prévu, la population a massivement voté pour l’adhésion de ces territoires à la Fédération de Russie. Les Russes ne se font pas d’illusions sur le fait que ni l’Occident ni l’Ukraine ne reconnaîtront les résultats de ces référendums. Cependant, ce nouveau développement va grandement affecter la prochaine étape de la guerre. Du point de vue de la Russie, son implication dans la guerre ne se limitera plus à la collecte de renseignements, aux tirs d’artillerie, aux frappes de missiles et aux raids aériens. La Russie a mobilisé des forces supplémentaires de 300.000 hommes qui vont être lancées dans les batailles dans les prochains jours. Il s’agit d’une escalade majeure où la Russie commencera à utiliser davantage sa puissance pour défendre ces territoires.
On ne sait pas comment les pays occidentaux vont réagir à cette escalade qui elle-même était une réaction à l’escalade de l’Occident prêt à ce que l’Ukraine poursuive les combats. Il y a eu des rumeurs de médiation en cours menée par la Turquie et l’Arabie saoudite qui ont été impliquées dans l’échange de prisonniers de la semaine dernière entre l’Ukraine et la Russie. L’Arabie saoudite aurait suggéré que l’Ukraine puisse concéder des territoires à la Russie en échange de la paix et de son indépendance. Il est peu probable qu’une telle proposition rencontre l’assentiment des soutiens occidentaux de l’Ukraine.
D’escalade en escalade, il n’y a que de sombres perspectives pour la paix. Même si logiquement, il faut arrêter l’escalade, aucune partie n’est encore prête à transiger. La guerre va donc connaître une escalade majeure dans les jours et les semaines à venir.