« Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, mais au contraire c’est leur existence sociale qui détermine leur conscience. » (Karl Marx, Une contribution à la critique de l’économie politique)
La révolution panafricaine qui se pointe à l’horizon n’est ni ne sera l’œuvre d’intelligences supérieures, d’idéologues ou d’intellectuels qui éduqueraient les peuples africains à avoir une conscience commune de leur condition humaine. Ce n’est ni l’œuvre de puissances non occidentales comme la Russie ou la Chine.
La réalité est que les peuples africains n’ont jamais été endormis pour être réveillés maintenant par l’influence d’intelligences supérieures ou de puissances étrangères.
Cette façon de penser chez certains intellectuels africains n’est qu’une reprise mimique du narratif véhiculé dans les médias grand public au sujet de l’aspiration légitime des peuples africains surtout francophones de connaître une indépendance qui soit plus effective que les indépendances de convenance qui avaient été octroyées à ses colonies par la France contrainte par les réalités de la période de l’après seconde guerre mondiale (1939-1945) et par celles de la guerre froide.
Dans l’histoire, les oppresseurs des peuples ont toujours dénigré les aspirations légitimes de ces peuples à s’émanciper. Ainsi dans les médias occidentaux, il est souvent ressassé que ce sont les puissances émergentes comme la Russie ou la Chine qui, étant aussi à la quête de zones d’influence économique et culturelle, agissent pour contrer les intérêts occidentaux. C’est un fait que les Occidentaux ne font aucun mystère de ce que l’émergence de ces nouvelles puissances constitue une menace à leur domination séculaire du reste du monde et qu’ils doivent agir pour contenir cette émergence.
Aussi, les peuples africains voient et constatent que la suprématie occidentale peut bien être défiée comme c’est le cas dans la guerre en cours en Ukraine et que contrairement aux prédictions des médias grand public occidentaux la Russie ne s’effondre guère suite aux sanctions économiques sans précédent dans l’histoire. De plus, ils observent que malgré le soutien en termes de renseignements, de mercenaires, le soutien médiatique, logistique (militaire et civil), financier, diplomatique et politique de la trentaine de pays de l’OTAN, l’armée russe ne s’est pas écroulée. Les peuples africains ont constaté aussi que ni la Chine ni l’Inde ni la plupart des pays émergents ne suivent la politique des sanctions économiques contre la Russie mais que ces pays cherchent à être eux-mêmes des puissances et non à faire la volonté d’une puissance hégémonique.
Ce sont certes des faits historiques qui ont marqué les consciences des peuples africains. Mais au-delà, les peuples africains n’ont jamais accepté la soumission à la domination qui leur est imposée surtout à travers la maîtrise de leurs leaders politiques lesquels sont soit éliminés physiquement ou politiquement, s’ils ne collaborent pas pour le triomphe des intérêts de ces puissances occidentales, soit sont recrutés pour servir ces intérêts.
Ce système que certains appellent l’ordre unipolaire n’a jamais été accepté par aucun peuple ailleurs et n’a pas non plus été accepté par les peuples africains. Ce raisonnement qui consiste à dire que les peuples africains se battent parce qu’une autre puissance les manipulerait est encore une autre forme d’eurocentrisme. L’esprit humain n’accepte jamais l’oppression sous aucune forme et recherche toujours en lui-même et dans son environnement la force et les ressources nécessaires pour la combattre.
La pensée marxiste en tant que principe d’analyse sociale et économique fait de la condition des hommes le plus grand facteur qui détermine l’évolution historique. Karl Marx a voulu dire que les hommes agissent sous l’emprise d’un déterminisme qui s’explique par leur condition sociale.
Par conséquent, plus que la rivalité entre les puissances, c’est la conscience même des peuples africains face à l’oppression qui est le facteur des évènements actuels sur le continent. Ces peuples ont une conscience de leur condition où ils sont soumis à la prédation de leur élite politique qui elle-même agit soit par contrainte extérieure soit par communauté d’intérêts avec l’extérieur.
Enfin, ces peuples communiquent plus directement entre eux-mêmes à travers les réseaux sociaux et se fient moins aux médias grand public. Mais ce ne sont pas ces médias sociaux qui déterminent la conscience des peuples africains. Ce sont les conditions objectives qu’ils vivent.
La révolution panafricaine peut être pacifique comme elle peut être violente mais elle est dans ses phases initiales. En effet, il est illusoire de croire que les conditions auxquelles l’élite politique à la solde des puissances occidentales soumet leurs peuples perdureront indéfiniment.
Partout sur le continent, la démocratie est déniée aux peuples africains. Les élections frauduleuses sont très courantes. Le seul facteur déterminant dans ces élections est l’argent illicitement accumulé par cette même classe dirigeante. Les lois sont taillées sur mesure pour perpétuer ces illégalités et pour éviter que les peuples puissent regagner leurs libertés et dignité. L’insécurité et le terrorisme sont entretenus pour justifier la présence des bases militaires étrangères. Les multinationales en complicité avec l’élite politique exploitent les ressources naturelles dans ce contexte d’insécurité sans que les peuples n’y trouvent leur compte. La paupérisation de masse qui résulte de cette gouvernance est visible et hideuse.
Les peuples africains réagissent et continueront à réagir face à tout ceci. Mais l’évolution pacifique ou violente de cette réaction dépendra aussi et surtout de la capacité de l’élite politique africaine à comprendre les signes du temps et de ce fait, à soit les accepter soit les combattre.