Sous un barrage de critiques fusant de toute part, de la société civile africaine, des pays européens partenaires de la France au sein de l’UE et même de la diaspora africaine aux États-Unis et en Europe, le Président français et ses homologues de l’Afrique de l’Ouest ne pouvaient plus continuer à faire la sourde oreille en maintenant une monnaie, Franc CFA, qui est chargée d’une forte connotation colonialiste. La France, surtout, voyant qu’à cette allure, ses intérêts stratégiques en Afrique, risquent de souffrir du sentiment anti-français grandissant, a voulu une fois encore s’adapter aux réalités du temps. Mais cette opération de charme a-t-elle pu remettre en cause les stéréotypes qui ont permis la survivance du Franc CFA pendant plusieurs décennies ? Les récentes déclarations des Chefs États de l’Afrique de l’Ouest, dont notamment, de Patrice TALON du Bénin, d’Alassane OUATTARA de la Côte d’Ivoire et celles du Président français Emmanuel MACRON sur la fin prochaine du Franc CFA présagent d’un réajustement stratégique de la France qui ne doit tromper personne.
Pourquoi le Franc CFA était devenu gênant pour la France ?
Les figures les plus emblématiques de la société civile africaine comme Kémi Séba, Nathalie Yamb et bien d’autres mènent une campagne contre l’hégémonie française en Afrique et plus particulièrement contre le Franc CFA. Les réserves placées auprès du Trésor Public français sont considérées comme étant un « impôt colonial » qui priverait les pays de l’Afrique de leur souveraineté monétaire. Les plusieurs procès intentés à ces activistes et leur expulsions répétées ne les découragent guère.
À l’intérieur de l’Union Européenne, la politique africaine de la France est aussi dénoncée. Le ministre italien des affaires étrangères, Luigi di Maio et Matteo Salvini, ancien ministre, italien aussi, ont critiqué à plusieurs reprises la France durant ces dernières années marquées par la crise d’immigration, indexant la France comme une puissance qui n’a jamais cessé sa colonisation de l’Afrique. Plusieurs pays européens sont de plus en plus sensibles à la question de l’immigration et trouvent que les causes des mouvements migratoires clandestins de l’Afrique vers les pays de l’EU doivent être prévenues à la base. La politique française d’Afrique, dont le CFA, est souvent accusée d’être l’une des causes de la pauvreté du continent. La France a convoqué en début de cette année 2019 l’ambassadeur de l’Italie à Paris pour protester.
Aux États-Unis, l’ex-ambassadrice de l’Union Africaine, Arikana Chihombori-Quao, bien qu’étant limogée pour ses critiques acerbes contre le Franc CFA, n’a pas arrêté sa campagne. Elle jouit du soutien de la diaspora africaine aux États-Unis et de celui des mouvements des Africains-Américains.
Au vue de toutes ces critiques, il paraît clair que la France ne peut plus garantir ses intérêts sur le long terme si elle continue de s’accrocher au Franc CFA dans sa forme actuelle, dans un contexte où elle doit faire face à la concurrence de la résurgence de la Russie, de la suprématie mondiale des États-Unis et de la montée de la Chine.
La réforme du Franc CFA controversée
Cette réforme se traduit essentiellement par le changement du nom de la monnaie qui devient ECO, la surpression des réserves placées auprès du Trésor Public français et le retrait des représentants de la France dans les organes de co-gérance de la BCEAO.
Mais malgré ces mesures réformatrices, le taux de change fixe et la garantie de la convertibilité par la France seront maintenues. Pourquoi les pays de l’Afrique de l’Ouest ne peuvent-ils pas par eux-mêmes garantir la convertibilité de leur monnaie ? Le Président Allasane Outtara de la Côte d’Ivoire en annonçant la mesure a expliqué que c’est pour la stabilité monétaire de la zone et pour la préservation du pouvoir d’achat des populations que cette option a été faite.
Parmi les 180 monnaies qui existent dans le monde, seul le CFA a sa convertibilité garantie par un pays autre que ceux qui l’utilisent. Ce qui est sûr est qu’aucun pays industrialisé ne l’est devenu en ayant la convertibilité de sa monnaie garantie par un autre pays. Il semble que la seule raison pour laquelle cette garantie de convertibilité est maintenue est la volonté de continuer à faire des pays africains des États-clients de la France.
L’Union des africains
Kwame N’Kruma, lors de son discours prononcé à l’occasion de la fondation de l’OUA à Addis-Abeba, le 24 mai 1963, dit, « We must unite now or perish. » Pour traduire, « Nous devons nous unir maintenant ou périr. » Il a encore plus raison aujourd’hui qu’hier !
Après plusieurs décennies d’indépendance, l’Afrique demeure la partie du monde la plus pauvre. L’un des obstacles majeurs à son développement est son manque d’unité. Malgré les plusieurs accords d’intégration économique, les pays, individuellement pris, ont plus de relations commerciales avec leurs ex-puissances coloniales qu’entre eux-mêmes. Le CFA et son mécanisme de convertibilité sont destinés à maintenir les pays africains dans cette position où les ont placés les pactes coloniaux, position de fournisseurs de matières premières aux industries occidentales et de consommateurs des produits manufacturés issus de ces industries.
Le taux de change fixe et la convertibilité illimitée garantie par la France n’ont pas pour but d’assurer l’industrialisation des pays africains. Au regard de leur PIB, aucun des 13 pays de la zone CFA ne figure parmi les 10 pays les plus industrialisés du continent car les pays de cette zone n’ont pas l’obligation d’assurer l’équilibre de leur balance commerciale ni de déprécier ou d’apprécier la valeur de leur monnaie pour refléter l’état leur balance commerciale.
Au-delà, d’une nouvelle appellation de la monnaie ouest-africaine, de la fin des réserves de 50% placées auprès du Trésor Public français et du retrait des français des organes de co-gérance, les pays de l’Afrique de l’Ouest doivent d’abord et avant tout œuvrer pour l’intégration de leur économie. Par exemple, au lieu que la Côte d’Ivoire vende son cacao aux multinationales étrangères et que les produits finis issus de ce cacao soient revendus à l’Afrique, les pays africains doivent mutualiser leurs efforts de développement. Chaque pays devra se spécialiser dans les productions où il a un avantage comparatif. L’ECO servira ainsi comme l’instrument de cette intégration.