Les mesures du Fonds Monétaire International (FMI) ont eu des conséquences néfastes sur l’économie de la Tunisie. Depuis la mise en place de ces mesures, le taux de chômage a augmenté, la croissance économique a ralenti et le pouvoir d’achat des citoyens a diminué.
La morosité ambiante de l’économie tunisienne
La révolution tunisienne de Jasmin de 2010 n’est pas que politique. Elle porte aussi en elle des aspirations socio-économiques majeures. En effet, le peuple tunisien s’attendait à une amélioration de ses conditions après avoir chassé Ben Ali du pouvoir. Mais, l’économie de Tunise qui avait un niveau acceptable de croissance sous le régime Ben Ali (4,5% en moyenne, pic 7,5% en 2007), s’est effondrée complètement. Entre 2011 et 2019, la croissance a chuté rapidement à 1,7% en moyenne, avec une récession économique enregistrée dès 2011 (-1,9%), selon Ecofin.
Pour couvrir les dépenses de l’Etat, les gouvernements successifs, instables et inefficaces, ont fait appel aux institutions financières internationales du Breton Woods : le FMI et de la Banque Mondiale.
Les interventions du FMI
La Tunisie est aujourd’hui endettée à plus de 100% de son PIB et a reçu sa 4ème aide du FMI depuis la révolution de 2010, sous forme d’un prêt d’un peu plus d’1,9 milliards d’euros. Cette aide fait partie de deux programmes de prêts supplémentaires du FMI de 2013 à 2020. C’est la deuxième fois, après la période 1986-1992, que le FMI assiste le pays. En contrepartie, le FMI a imposé des politiques d’austérité qui ont réduit les dépenses publiques et augmenté les taxes. L’institution financière internationale a ciblé la masse salariale, en hausse après l’embauche dans le secteur sanitaire lors de la COVID-19 et les subventions énergétiques comme facteurs de la crise économique. Sous prétexte que la dette publique tunisienne serait devenue insoutenable, les experts préconisent à l’Etat de supprimer les subventions et de privatiser massivement les entreprises nationales. Plusieurs secteurs sont visés : le domaine médical, l’énergie, l’agriculture, le transport, les services publics etc. Selon le Vice-Président de la Banque Mondiale pour la région Moyen Orient et Afrique du Nord, Ferid Belhaj, lors d’une intervention sur une chaîne radio (Mosaïque Fm), le 19 mars 2013 , cité par l’OTE dans un rapport : « les entreprises publiques doivent être compétitives, sinon il faudra les vendre en espérant que le privé veuille bien les acheter ». A cela, s’ajoute l’impératif à la Banque Centrale de Tunisie (BCT) de dévaluer le Dinar tunisien.
Toutefois, ces mesures ont des résultats totalement contraires à ceux qu’on pouvait espérer.
Les retombées des mesures du FMI
Tout cela a eu un impact négatif sur les entreprises et les ménages tunisiens qui ont du mal à joindre les deux bouts. La réduction des dépenses publiques a entraîné une diminution des investissements dans des secteurs clés tels que l’éducation et la santé.
« Ainsi, la libération du Dinar et la chute de sa valeur expliquent l’inflation, qui a pour conséquence l’augmentation des prix des biens importés. En réalité, l’inflation n’a jamais été aussi grande que depuis que le FMI a imposé à la BCT de se focaliser uniquement sur la lutte contre l’inflation, atteignant un record historique en 2018 de 7,3%. », écrit L’Observatoire Tunisien de l’Economie (OIT).
Les matières premières reviennent donc plus chères aux entreprises tunisiennes qui voient leur marge diminuer. Fadil Aliriza argumente aussi en ce sens : « Les taux d’inflation ont constamment augmenté encore plus pour les prix des denrées alimentaires et des transports, qui dépendent tous deux des importations et affectent de manière disproportionnée les segments les plus pauvres de la société qui dépensent plus en pourcentage de leur budget personnel pour ces nécessité. »
Par ailleurs, une frange importante de la population active, surtout les diplômés du pays, désespérés, tendent à immigrer massivement en Europe, en quête d’un mieux vivre. Cette fuite des cerveaux envenime la situation précaire du pays, qui perd progressivement ses têtes pensantes au profit des pays occidentaux. Depuis 2016, selon l’Ordre des ingénieurs tunisiens, environ 10.000 ingénieurs tunisiens ont émigré à l’étranger pour travailler.
Cela alimente également l’immigration clandestine et les horreurs fréquentes dans la Méditerranée, aux portes de l’Europe. « L’Italie et la Tunisie ont détenu près de 9.000 migrants tunisiens en 2017, ce qui reflète un pic dans la tendance à partir de 2015. Des centaines d’autres migrants sont morts en quittant les côtes tunisiennes ces dernières années, dont beaucoup de ressortissants tunisiens. », selon Fadil Aliriza.
Notons également, les cas de suicides et d’auto-immolation qui ont augmenté ces dernières années, provoqués par le désespoir et la colère, face au chaos. D’après Ayeb H., on en dénombre entre 250 et 300 chaque année, depuis 2011.
Les protestations continuent
Une décennie après le printemps de 2011, le havre de paix et de stabilité dont les tunisiens rêvent tant n’est pas devenu une réalité. Face à la faiblesse des différents gouvernements et la crise économique aiguë qui a contraint de nombreuses familles à s’endetter, les citoyens ont manifesté leur mécontentement à plusieurs reprises, mais les mesures du FMI sont toujours en place.
L’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT), syndicat historique en Tunisie depuis 1946, y a joué un rôle important en s’opposant aux mesures d’austérité imposées par le Fonds Monétaire International (FMI). L’UGTT a également été impliquée dans les négociations avec le gouvernement pour trouver des alternatives aux politiques économiques du FMI. Son président, Noureddine Taboubbi interpelle régulièrement le gouvernement du président actuel Kais Saëd sur les enjeux des accords avec le FMI.
Le but des mesures d’austérité imposées à la Tunisie, notamment la privatisation des entreprises nationales profitent aux charognards occidentaux qui les achètent au plus bas de leur valeur. De plus, les accords prévoient des importations très chères pour la population, en provenance de l’Europe. L’Observatoire de la complexité économique de la Tunisie affiche 80 % des exportations à destination de l’Europe et 63 % d’importations provenant de l’Europe en 2017. En gros, une mesure de plus pour mettre la main sur les secteurs vitaux de l’économie tunisienne et la faire dépendre de l’extérieur.
« Le service de la dette en Tunisie est à la fois un obstacle au développement et un instrument de pillage et de soumission inhérent au processus visant à assurer que les pays du Sud sont endettés envers les pays du Nord », a écrit Chafik Ben Rouine, membre de l’ACET, président et cofondateur de l’Observatoire Tunisien de l’Économie en 2013.
Le même constat s’applique au Soudan qui a subi des conséquences néfastes des mesures d’austérité identiques imposées par le FMI. L’une d’entre elles est la suppression des subventions sur le pain et la hausse des prix des produits de première nécessité qui a conduit à de grandes protestations populaires de 2018 contre le régime d’Omar El-Bechir, lequel sera renversé l’année suivante. Même la junte militaire qui lui a succédé a mordu à l’appât, en 2021.
L’Égypte, la Jordanie, l’Éthiopie et beaucoup d’autres pays arabes, ainsi que subsahariens ne sont pas en marge du même scénario. Tous sont asphyxiés par les institutions de Bretton Woods, desquelles ces pays ne peuvent se passer pour mobiliser des fonds ou opérer sur les marchés des changes.
Le néocolonialisme tient toujours les pays du Sud. Quelles sont les alternatives auquelles doivent recourir pour acquérir pleinement leur souveraineté économique? La création du BRICS constitue peut-être cette alternative.