Le coup d’État du 26 juillet 2023 au Niger est le dernier d’une série d’événements – dont la guerre en Libye, qui contribuent à la déstabilisation des pays du Sahel en particulier et de toute l’Afrique de l’Ouest en général. Dans le contexte actuel de la rivalité géopolitique entre l’Est et l’Ouest, l’Afrique Occidentale pourrait-elle éviter de devenir un théâtre d’opérations de la nouvelle guerre froide entre l’alliance Russo-Chinoise et l’OTAN?
Le coup d’État, qui a renversé le président nigérien Mohamed Bazoum le jeudi 26 juillet dernier, rappelle la déstabilisation des pays du Sahel par la menace djihadiste. Depuis 2020, dans la sous-region ouest-africaine, ce coup d’État est le troisième cas de prise de pouvoir par des militaires sous prétexte de l’incapacité présumée du chef de l’État démocratiquement élu à faire face à la menace jihadiste.
Le coup d’État qui a renversé le président burkinabé Rock Marc Christian Kaboré du 23 au 24 janvier 2022 et celui qui a fait partir le président malien Ibrahim Boubacar Keita le 18 août 2020 étaient accompagnés par les mêmes récriminations et réprimandes des haut-gradés des armées respectives des deux pays à l’égard de leurs Chefs d’État déchus.
Aussi, ces deux coups d’État ont été accueillis, tout comme celui du 26 juillet dernier au Niger, par des foules en liesse qui scandaient des slogans anti-français et pro-russes tout en brandissant le drapeau de la Fédération de la Russie. Les troupes françaises dans ces pays étaient devenues indésirables parce que leur présence était considérée comme un facteur aggravant de la crise sécuritaire. Malgré leur présence, les attaques terroristes augmentaient en quantité et en intensité. Ce paradoxe crée chez les populations de ces pays un sentiment de suspicion à l’égard de la présence française. Certains acteurs mêmes politiques ou de la société civile allèguent que les troupes françaises sont en intelligence avec les groupes armés, leur payent des rançons afin d’être épargnés par leurs attaques et collaborent avec eux en leur fournissant des renseignements et des armes qu’ils utiliseraient.
Par ailleurs, la France en particulier et les autres pays de l’OTAN en général sont accusés d’avoir attaqué la Libye, d’avoir causé la mort, le 20 octobre 2011, du Mouammar Kadhafi, et par conséquent, la prolifération des armes stockées par le pays pendant des décennies et une invasion du Sahel par des groupes armés terroristes dans le but de reprendre pied en Afrique.
Les populations africaines du Sahel souhaitent alors moins d’intervention occidentale dans leurs affaires et une plus grande coopération avec d’autres puissances non-occidentales qui n’ont pas un passé colonial en Afrique. Ainsi la France a été obligée de se retirer du Mali, puis du Burkina-Faso et va certainement être obligée de partir du Niger.
Toutefois, les puissances occidentales n’acceptent pas cette réalité et accusent d’autres puissances notamment la Russie de Vladimir Vladimirovich Poutine d’être derrière ces événements. En réalité, la réémergence de la Russie et l’émergence de la Chine sont perçues par les Occidentaux comme une menace à la suprématie de la puissance américaine devenue totale avec la disparition de l’Union soviétique en 1990. Les États-Unis d’Amérique et leurs alliés européens sont alors déterminés à préserver à tout prix leur règne hégémonique séculaire sur le reste du monde. Telle est la raison principale de cette nouvelle guerre froide dans les relations internationales.
Cette nouvelle guerre froide dont l’une des manifestations est l’éclatement du conflit Russo-Ukrainien risque d’aboutir à une guerre par procuration au Sahel qui est une région stratégique convoitée par les puissances à cause de sa situation géographique et de ses ressources naturelles. Cet affrontement entre l’alliance de facto Russo-Chinoise d’une part et les puissances occidentales d’autre part opposerait les deux camps par groupes de pays interposés, si les États africains ne retournaient pas à leur principe sacro-saint de non-alignement qui avait prévalu lors de la guerre froide entre 1945 et 1990.
Pour résoudre la crise née de ce coup d’État, le Président béninois Patrice Talon a été désigné médiateur par le président en exercice de la CEDEAO, Bola Ahmed Tinubu. Dans une déclaration qui paraît est une réponse à une question d’un journaliste, le Président Talon, au cours de sa visite au Nigeria, ayant à côté de lui, son homologue nigérian, a affirmé la nécessité du retour à l’ordre constitutionnel au Niger : « Tous les moyens seront utilisés, au besoin, pour que l’ordre constitutionnel soit rétabli au Niger. Mais l’idéal serait que tout se fasse dans la paix et dans la concorde. Même quand ce qui n’est pas acceptable se fait, il faut que dans la paix, on puisse corriger cela. C’est notre première option. Nous pensons que ce sera avec succès. »
Le Président Mohamed Bazoum, qui avait déjà échappé à plusieurs tentatives de coup d’État, a effectivement été renversé par un putsch le jeudi 26 juillet dernier.
En effet, dans la soirée du 26 juillet, les mutins nigériens ont annoncé la destitution du président Mohamed Bazoum, la fermeture des frontières nationales, l’instauration d’un couvre-feu, la suspension de la constitution et l’interdiction des partis politiques.
Le vendredi 27 juillet, le général Abdourahmane Tchiani a été proclamé nouveau chef de l’Etat nigérien selon le colonel Amadou Abdramane, porte-parole des mutins qui ont pris le pouvoir dans le pays.
Quant au chef de la diplomatie américaine Anthony Blinken, il a fermement condamné la mutinerie en rappelant l’engagement des États-Unis auprès de Niamey :
« Je me suis entretenu avec le président Bazoum plus tôt dans la matinée et je lui ai clairement indiqué que les États-Unis le soutenaient résolument en tant que président démocratiquement élu du Niger. Nous demandons sa libération immédiate. Nous condamnons toute tentative de prise de pouvoir par la force. Nous sommes activement engagés auprès du gouvernement nigérien, mais aussi auprès de nos partenaires dans la région et dans le monde. Nous continuerons à le faire jusqu’à ce que la situation soit résolue de manière appropriée. »
Anthony Blinken
Pendant ce temps, la Russie qui est devenue le partenaire privilégié du Mali et du Burkina-Faso dans leurs efforts de lutter contre le terrorisme au Sahel n’a fait aucune déclaration pouvant être interprétée comme un soutien aux nouvelles autorités de Niamey. Au cours du second sommet Russo-Africain qui s’est tenu des 27 et 28 juillet derniers à Saint-Pétersbourg, les deux leaders du Mali et du Burkina-Faso qui étaient présents n’ont pas manqué de dénoncer la déstabilisation par le djihadisme comme une forme de recolonisation du continent.
« Aujourd’hui, nous sommes confrontés depuis plus de 8 ans à la forme de manifestations la plus barbare, la plus violente du néocolonialisme, de l’impérialisme. », a déclaré le président burkinabé Ibrahim Traoré. Il a aussi dénoncé les ingérences occidentales et les critiques de ses pairs africains proches des pays de l’OTAN, leur reprochant leur manque de soutien à la lutte du peuple burkinabé contre le terrorisme.
Un autre événement ayant marqué ce sommet Russo-Africain a été l’apparition du chef du Wagner, Yevgeny Prigozhin, venu apparemment avec l’accord de Vladimir Poutine pour rassurer les pays africains en ce qui concerne leur partenariat avec la Russie dans le domaine sécuritaire.
Dans ce contexte, une intervention militaire au Niger sous l’égide de la CEDEAO sera un développement extrêmement dangereux si elle ne reçoit pas l’accord et le soutien du Conseil de Sécurité des Nations Unies et risquerait de se transformer en une guerre par procuration entre l’OTAN et la Russie.